Qualifiée tantôt de phénomène, à d’autres moment de mère indigne, Poupette Kenza est une jeune femme née en l’an 2000 à Rouen. Jusqu’au début de l’année 2024, elle a été l’une des françaises les plus célèbres sur les réseaux sociaux et la plus suivie sur Snapchat. L’influenceuse est revenue sur le devant de la scène au mois de mai dernier, publiant cette fois sa vie sur Instagram et TikTok. Mais le 4 juillet dernier, elle a été interpellée, mise en examen et placée en détention provisoire. 

J’ai étudié et analysé les apparitions de la jeune influenceuse depuis plusieurs années, c’est pourquoi je vous propose un article revenant sur ce « phénomène médiatique » et les raisons de son succès.

Chroniques du quotidien 

En quelques années, Kenza Benchrif (de son vrai nom) est devenue une célébrité sur les réseaux sociaux en filmant sa vie privée : son quotidien, ses amours, ses amis, ses enfants… la jeune femme a filmé sa vie sur son smartphone en la diffusant au quotidien sur les réseaux.

Cette forme de “transparence” totale a permis à Kenza Benchrif de gagner sa vie grâce à des publications sponsorisées (pour du maquillage, des bonbons, du linge de maison, etc), ce qui fait d’elle ce qu’on appelle désormais une « influenceuse ». Sa particularité est que, contrairement à d’autres influenceurs, elle n’a jamais fait d’émission de télé-réalité et qu’elle est donc un “pur produit” des réseaux (à tel point qu’elle est donc une star pour certains et une totale inconnue pour tous les autres). 

C’est à partir de sa rencontre avec son futur époux Allan en 2019, qu’elle a commencé à documenter sa vie par de courtes vidéos sur Snapchat (jusqu’à une vingtaine par heure et ceci toute la journée). 

La communauté comme une famille 

Les fans de Poupette se font appeler des « Poupettes » par l’influenceuse. Lorsqu’elle a accouché de son deuxième enfant, elle l’a évidemment annoncé sur les réseaux en indiquant à son public « Je vous annonce que vous êtes de nouveau tatas ». La jeune femme s’adresse à son public comme s’il s’agissait d’une famille ou de ses meilleures amies. Le même jour, elle ajoute d’ailleurs dans son message : « j’ai ma famille, je vous ai vous, rien de me manque (…) vous avez tous changé ma vie et vous ne savez à quel point. Je vous aime ». 

Elle demande des conseils à ses « poupettes » à propos de l’éducation de ses enfants. Elle applique ensuite les suggestions : « on va faire ça ensemble et se donner 10 jours pour qu’il écoute sa mère » dit-elle face caméra le 31 octobre 2023 à ses fans en parlant de son fils. Quelques jours plus tard, elle demande à sa communauté comment se débarrasser d’un bouton sur le front, tout en le triturant en gros plan face caméra. Elle finira par suivre le conseil ultime : se rendre dans une pharmacie.

Polémiques business

Fréquemment, Poupette Kenza est au cœur de polémiques : procédure judiciaire pour pratiques commerciales trompeuses, accusation par deux députés de diffusion d’images de sa fille et de son fils s’apparentant à de la pédopornographie, soupçons de maltraitance envers ses enfants, accusations de détournement d’une cagnotte pour un orphelinat dont elle a fait la promotion, la jeune femme était aussi la cible du rappeur Booba qui poursuit son combat contre le business parfois frauduleux des influenceurs

Ces polémiques font le succès de la jeune femme dont on parle aussi bien sur les réseaux sociaux que dans des articles de presse, ou encore dans Touche pas à mon poste qui donne la parole à l’influenceuse pour qu’elle puisse s’expliquer au sujet des soupçons pour maltraitance qui pèsent sur elle. Au cours de cette émission du mois de février 2023, Poupette Kenza accuse les réseaux sociaux (qui sont pourtant son fonds de commerce) d’être les responsables de cette polémique. Répondant au téléphone à Cyril Hanouna, elle explique en pleurant qu’elle est une très bonne maman. Le présentateur de TPMP lui répond que ce sont les réseaux sociaux qui ont fait son succès, mais il en parle aussi comme d’un “fléau”. Elle explique que les vidéos qui sont diffusées contre elle sont « hors contexte » et elle pointe l’injustice dont elle estime être victime.

A cette occasion, elle publie aussi une vidéo sur YouTube intitulée « La vérité ». Dans laquelle elle tente de s’expliquer au sujet de toutes les polémiques auxquelles elle doit faire face à ce moment, et notamment sur le fait qu’elle s’est fait retirer la garde de son fils de 9 mois avant de le récupérer.    

Fréquemment, l’influenceuse a vu son compte Snapchat suspendu car ses pratiques étaient dénoncées par des personnes qui la suivaient et qui trouvaient son comportement abusif. Elle racontait tout, notamment ses coups durs, c’est comme s’il n’y avait pas de coulisses.

Certains médias disaient même qu’elle faisait des polémiques et du buzz son fonds de commerce, tant la jeune femme était au cœur de controverses quasi quotidiennes.  

Ses enfants vivent dans le Truman Show 

Fin octobre 2023, sa fille lui demande si elle ne fait des activités avec elle que pour pouvoir les filmer et les diffuser. Kenza se confie sur Snapchat : elle dit avoir peur de louper l’éducation de ses enfants à cause de ses activités (et donc du fait de tout le temps les montrer sur les réseaux). Elle ajoute une anecdote : sa petite fille jouait dans un parc public à Dubaï accompagnée d’adultes qui n’étaient pas ses parents, des fans l’ont reconnue, se sont attroupées autour d’elle et la petite fille a dit ne pas vouloir être prise en photo par tout le monde. Elle explique à ses fans qu’il faut arrêter de vouloir faire des photos de sa fille. En larmes ce jour-là, Poupette Kenza parle du vortex dans lequel elle est désormais : se filmer et filmer sa famille tout le temps est devenu un mode de vie, elle ne pense pas pouvoir arrêter car c’est aussi son travail, et elle n’arrive pas à mettre une limite entre sa vie privée et sa vie publique. Elle évoque même une forme d’addiction aux réseaux, disant qu’il va falloir qu’elle se fasse aider. Elle dit qu’elle a besoin d’un psy, et se demande face caméra si ce serait bien que ce médecin soit également une “poupette” (donc une fan). Elle confie :  “tout ce que je fais je ne l’aurais jamais fait sans Snap, je vis pour le contenu et non plus pour moi”. 

Ce sont aussi ces crises, ces craquages qui ont fait le succès de la jeune femme. Lorsqu’elle pleure, fait le constat de son addiction aux réseaux, qu’elle parle aussi de son amour pour son public, elle fait dans la foulée la une sur X (anciennement Twitter), en étant en Top Tweet, car elle devient à nouveau le sujet de conversation principal sur le réseau d’Elon Musk. On trouve beaucoup de critiques à son sujet : « Quand on pense que la fille de Poupette connaît plus l’iPhone 14 que sa grand-mère paternelle » dit un internaute. « Tu pleures car ton business fout ta vie en l’air, mais deux secondes après, tu continues la même chose. Tu parles à tes enfants à travers l’écran » ajoute un autre. 

Sa vie est un sujet de conversation « comme les autres » sur les réseaux, où l’on commente à peu près tout ce qui faisait sa vie : ses recettes de cuisine aussi bien que l’éducation de ses enfants. 

La télé-réalité, c’est elle

Le succès de la jeune femme s’explique notamment par le côté coulisses qu’elle semble dévoiler, son quotidien qu’elle aime montrer. Tandis que d’autres influenceuses travaillent à montrer une image lisse, utilisent des filtres et s’attachent à montrer un quotidien fait de paillettes, de plages à Dubaï et de tenues exubérantes, Poupette Kenza passe du temps à se filmer en train de faire la cuisine, passer l’aspirateur et faire les courses avec son caddie et ses enfants. Elle ne manque pas cependant de faire sponsoriser et filmer l’anniversaire de son époux en plein désert à Dubaï. 

Ce dont la jeune femme témoigne, c’est d’un quotidien banal (certes différent de celui de son public puisqu’elle habite à Dubaï, qu’elle a une dame qui est à son service et s’occupe de ses enfants), mais elle met tout de même en scène un quotidien tout à fait lambda qui doit ressembler au quotidien de la « française moyenne », qu’elle appelle une « poupette ». 

Montrer le quotidien, c’est justement la promesse de la télé-réalité depuis qu’elle est née en 2001 en France avec Loft Story sur M6. On le sait, l’objectif de ces programmes consiste à montrer des individus dits « ordinaires » vivant des situations diverses a priori banales. En plus de 20 ans, le genre a considérablement évolué et l’étiquette « télé-réalité » regroupe désormais des types d’émissions très différents. Mais dans ses gènes, Loft Story promettait de « tout voir et de tout savoir » sur la vie que vivaient les habitants de la maison, et c’est ce que Poupette Kenza a réalisé à la perfection : montrer ce qui semble être ordinaire, vivre des problèmes du quotidien avec ses enfants et ses boutons sur le front, tout en dévoilant un côté « paillettes » susceptible de faire rêver sa communauté, entre deux publicités pour du maquillage, des lingettes intimes ou un nouvel aspirateur révolutionnaire.  

Le succès de l’influenceuse la plus suivie en France reposait sur la promesse que portrait la télé-réalité à ses débuts : cette « Madame tout le monde » vivait de façon extraordinaire une vie presque ordinaire. Car la mise en scène du quotidien est ce qui permet de mieux s’identifier, de se comparer, voire de critiquer la jeune femme.

Autre exemple, le récit très documenté de sa séparation d’avec Allan, le père de ses enfants à la rentrée 2023, qui a fait couler autant d’encre que leur réconciliation deux mois plus tard. Comme pour les émissions de dating de la télévision (Mariés au premier regardL’amour est dans le pré, etc), la question de la séduction, de l’amour et des ruptures est un ticket gagnant pour fidéliser une audience. Entre la séparation et la réconciliation, les différents réseaux sociaux (de Snapchat à Twitter en passant par Tiktok ou Instagram), n’ont cessé de se faire l’écho de la vie amoureuse de Poupette Kenza. 

La mesure du succès 

A quoi on mesure une grande notoriété ? Au fait (entre autres) que des médias traditionnels possédant un public large qui a priori ne connaît pas encore la personne dont il est question s’y intéressent. Et c’est parce qu’un jour, la jeune femme a marché sur la main de sa fille qu’elle a acquis une notoriété encore plus grande.

En effet, au mois de novembre 2022, le site belge RTL info parle de la jeune femme mais sans la citer dans son titre. En effet, elle n’est pas encore assez connue aux yeux du grand public, ou du moins des lecteurs de ce média, pour que son nom puisse être identifié auprès des lecteurs habituels. « C’est trop là : une influenceuse se filme en train de marcher sur sa fille et devient la risée d’internet » explique-t-on à la une. Il s’agit d’expliquer que Poupette Kenza est une jeune maman accro aux réseaux sociaux, qu’elle est « autant moquée qu’admirée » et qu’elle vit à ce moment un bad buzz. En effet, dit-on, elle s’est récemment filmée dans un miroir en train de montrer sa nouvelle paire de baskets, sauf qu’au même moment, elle a marché sur la main de sa fille qui était en train de jouer par terre à ses pieds. On explique également dans l’article que la jeune femme s’est attirée la foudre des internautes : « c’est trop là », « Retirez-lui ses réseaux sociaux purée ». On parle aussi d’elle sur France Inter le mercredi 28 décembre dans la rubrique Capture d’écran, pour expliquer à travers elle le phénomène Snapchat.  

Enfin, à l’été 2023, c’est Le Parisien qui lui consacre trois articles successifs dans le cadre d’une enquête intitulée « Le fabuleux destin de Poupette Kenza » qui lui est dédiée. On y parle des différentes polémiques auxquelles elle a eu affaire au long de l’année, comme « la rançon d’une étrange gloire basée sur un procédé unique en France : une chronique de sa vie en temps réel, au su et au vu de tous, sans filtre ou presque ». A cette occasion, les journalistes qui ont mené l’enquête m’ont longuement interrogé en tant qu’analyste.

Celle qui est « devenue le symbole de cette société rivée à son téléphone, où rien n’existe tant qu’il n’est pas posté en ligne » m’a fait dire au quotidien Le Parisien que la jeune femme vivait de façon extraordinaire une vie ordinaire : « c’est une télé-réalité à elle toute seule, d’autant que contrairement à d’autres influenceurs passés par la télé ou YouTube, elle apparait rarement sur le petit écran ». La force de la jeune femme réside dans son importante communauté : si la plupart sont des fans, d’autres sont ce qu’on appelle des “haters” et s’acharnent contre elle via les différents réseaux sociaux, allant parfois jusqu’à la dénoncer aux services sociaux. 

Jusqu’à la fin de l’année 2023, Poupette Kenza semblait comme prise à son propre piège, condamnée à continuer de montrer et raconter sa vie pour continuer à la mener mais cela semblait être devenu une souffrance de chaque instant. Chaque personne de son entourage proche était susceptible de devenir un personnage du récit qu’elle décrivait au quotidien : ses enfants, son mari, la nounou, une amie, etc. 

Début 2024, elle semble faire un autre choix : celui de disparaître complètement de tous les réseaux. Mais c’était pour mieux revenir en mai 2024, annoncer sa troisième grossesse et décider de quitter Dubaï pour le Maroc au mois de juin. Poupette Kenza est venue en France le 4 juillet pour assister au mariage de sa meilleure amie, et c’est à cette occasion qu’elle a été interpellée et placée en détention provisoire pour tentative d’extorsion en bande organisée

Quelle que soit la suite de ses « aventures », la jeune femme a représenté à elle seule le symptôme de ce que peuvent produire les réseaux sociaux lorsque, poussés et utilisés à l’extrême, ils deviennent, pour ainsi dire, les fondements de l’existence de ces personnes qui ne vivent plus que par ce prisme. Filmer toute sa vie n’est pas sans conséquence, et la relation de proximité qu’elle avait instaurée avec ses fans semblait bien excessive, au regard des polémiques quotidiennes qui étaient créées. Sans aucun encadrement ni véritable agent, Poupette Kenza a bien failli se noyer en dévoilant son quotidien sans filtre. Si le dévoilement des coulisses est attractif pour de nombreuses personnes, n’oublions pas qu’une coulisse en cache forcément une autre, que le cadre de la caméra ou du smartphone ne pourront jamais dévoiler.

Un symptôme est un phénomène, un caractère perceptible ou observable lié à un état, une maladie qu’il permet de déceler, dont il est le signe. Dès lors, si Poupette Kenza est un symptôme, c’est celui d’une société malade de la surexposition 

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